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15 février 2013

ANTIBIOTIQUES ET RÉSISTANCES


La résistance des bactéries aux antibiotiques est un phénomène préoccupant.
David Isaacs et David Andresen (1) affirment à juste titre qu’il est temps de lutter sérieusement contre les résistances, non pas par une guerre contre les résistances qui a, selon eux, autant de chances de réussir que la guerre contre le terrorisme, mais en désescaladant et en nous assurant que nos hôpitaux ne soient pas des amplificateurs de résistance.





The treatment of an infection is often described in military terms: the war on microbes, the war on infections, or the battle against antimicrobial resistance. We believe the chance of winning the "war on antimicrobial resistance" by escalation is about as likely as the chance of winning the "war on terror". Our war should be against human error, particularly the erroneous belief that new drug discoveries will be the solution to resistance development. We should de-escalate rather than escalate antibiotic use, invest in diagnostics, ensure our hospitals do not act as "resistance amplifiers", and try to prevent infections.

Ils ont raison mais ils omettent un certain nombre de choses: On sait tout d'abord depuis plus de 40 ans que les résistances sont un problème  important. De plus on connaît depuis plus de 40 ans certains facteurs aggravants et on sait aussi depuis longtemps comment lutter contre les résistances. 

En mars 1973, des étudiants en médecine de Caen, dans une brochure sur les laboratoires pharmaceutiques dénonçaient ainsi la publicité pharmaceutique :

- Rovamycine : "l’antibiotique 100% français"
- Thiophénicol : "l’antibiotique total"
- Rubitracine : "l’antibiothérapie magnifiée pour tous les  âges, contre toutes les virulences en toute quiétude"
- Et l’Istipen qui poussait le bouchon jusqu’à se proposer au nom de la résistance bactérienne : "très large spectre englobant les germes Gram + et les Gram - , un atout majeur contre la résistance bactérienne."

Ils citaient surtout Finland et Worms qui disent l’essentiel du problème. Au début des pénicillines semi-synthétiques, Finland écrivait : "Le risque de voir apparaîtra un nombre croissant de souches qui leur résisteront dépendra avant tout de la judicieuse restriction que le corps médical apportera ou non à leur utilisation."

Le professeur R. Worms (2) écrit quant à lui : "Loin de tolérer la diffusion la plus large et la plus massive à laquelle tout nouvel antibiotique est soumis sous la poussée publicitaire, il conviendrait surtout, si celui-ci possède un large spectre, de le soustraire à la compétition, de le tenir en réserve pour en réserver le bénéfice aux cas les plus graves. A ce prix, son pouvoir gagnerait en durée."

En 2000, un article intéressant de P. de Man (3) se terminait par une  phrase qui ressemble beaucoup 30 ans après à celle du professeur R. Worms en 1970 : "Cette étude  confirme les bénéfices si souvent prêchés mais si rarement mis en pratiques des antibiotiques à spectre étroit. Cette étude  devrait inciter les cliniciens à mettre plus souvent en pratique ce vieux  précepte."


La lutte contre les résistances devait bien sûr comporter un effort pour utiliser les antibiotiques de façon plus rationnelle mais elle ne se limite pas à cela. Pour diminuer les infections et donc le recours aux antibiotiques et les  résistances on peut citer, dans  le champ pédiatrique, la lutte contre la prématurité, la promotion de l’allaitement au sein, le respect des rythmes de sommeil, la  méthode kangourou... 


Mais parce qu’ils attirent l’attention sur un autre facteur important de la vie des hôpitaux et parce qu’ils le font avec  humour, je voudrais laisser le mot de la fin à Norman Simmons et David Williams (4)Ils disent que les infections et les bactéries résistantes prospéreraient moins s’il y avait des chambres pour isoler certains malades, si les malades n’étaient pas trimbalés comme dans des excursions touristiques. "Meanwhile, patients and their bacteria are shunted around open hospital wards like tourists on coach trips”.


Jean-Pierre LELLOUCHE


(1) ISAACS D, ANDRESEN D. Combatting antibiotic resistance : the war on error.  Arch Dis Child 2013;98:2 90-91
(2) WORMS R.  L’Année du Praticien 1970 : 43
(3) DE MAN P, VERHOEVEN BA, VERBRUGH HA, VOS MC, VAN DEN ACKER JN. An antibiotic policy to prevent emergence of resistant bacilli. Lancet 2000; 355 (9208) : 973-978.
(4) SIMMONS N, WILLIAMS D Prudence and isolation. The Lancet, 2000; 355 (9219) 

3 commentaires:

  1. "Faire face au défi de la résistance aux antibiotiques" proclame le titre d’un excellent article de O. Cars (1) qui aborde le même sujet avec un sous-titre encore plus clair "Une réponse globale est nécessaire pour faire face à l’accroissement de la résistance aux antibiotiques. Sans cela, nous risquons de retourner à la situation d’avant les antibiotiques". Cet article est parfait à une réserve près: l’essentiel de ce qu’il dit est connu depuis longtemps. Nous savons depuis plus de 30 ans que l’utilisation excessive des antibiotiques nous conduit vers des catastrophes et nous connaissons depuis longtemps quelques-unes des solutions.

    Très souvent des antibiotiques sont prescrits parce que les médecins, pas assez bien formés et pas assez informés des dégâts causés par les prescriptions abusives rencontrent des patients qui pensent que les antibiotiques sont une arme magique. Il se crée alors un système vicieux où le médecin mal formé prescrit trop où le malade mal informé en demande trop et où, même le médecin prescrit pour répondre à ce qu'il croit être ou ce qu’il dit croire être la demande du malade. L’un des éléments –la demande excessive par un public mal informé– a été pris en considération par la campagne "Les antibiotiques, c’est pas automatique". Mais le deuxième élément –la formation adaptée des médecins- est plus difficile à mettre en œuvre.

    Dans un éditorial et une série d’articles le BMJ (2)fait le point sur l’utilisation par l’industrie pharmaceutique de la formation médicale pour promouvoir ses intérêts. On a beau être informé, on ne peut qu’être consterné par ce que nous apprend R.Moynihan lorsqu’il décrit une conférence sur les troubles bipolaires où les commerciaux des labo échangeaient des plaisanteries avec des médecins qui faisaient la queue pour jouer à des jeux vidéo et gagner des prix.

    Dans ce même groupe d’articles, S.Fletcher (3), affirme que l’information honnête et la recherche du maximum de rentabilité sont deux notions incompatibles. Elle montre que le passage de l’éducation sponsorisée par les labos à une éducation indépendante demandera un changement culturel profond. Elle pense, comme A.Pisacane (4) que l’éducation des médecins ne doit pas se faire principalement dans de grandes réunions sponsorisées par les labos mais dans de petits groupes avec des objectifs précis et un contrôle de résultats. Mais si A Pisacane décrit de façon détaillée sa pratique actuelle en énumérant 7 points, S.Fletcher propose une approche plus théorique. Elle montre que les solutions qu’elle propose sont connues depuis longtemps et en citant un texte de 1905 paru il y a plus de 100 ans ! "Apprendre la médecine n’est pas fondamentalement différent que d’apprendre quoi que ce soit d’autre. Si quelqu’un dispose de 100 heures pour apprendre à monter à cheval ou à parler en public, il pourrait peut-être consacrer 1 heure à écouter quelqu’un lui dire comment faire, 4 heures à regarder comment un enseignant expérimenté fait et les 95 heures restantes à pratiquer, d’abord sous une surveillance très proche, puis avec de plus en plus de liberté"

    Pour que la pratique antibiotique des médecins se modifie, il faudrait qu’ils aient l’occasion de se former et d’échanger en se mettant à l’abri des influences des laboratoires mais rien n’est gagné par avance.A.S. El-Radhi (5) se demande pourquoi le traitement de la fièvre chez l’enfant tient-il si peu compte des connaissances accumulées ?

    Il y a beaucoup d’irrationnel et d’émotionnel dans la pratique médicale. Il est d’autant plus important de se protéger des interventions de ceux qui ont une idée précise de ce à quoi ils souhaitent que notre irrationnel aboutisse.

    (1) CARS O. BMJ. 2008 Sep 18;337:a143827
    (2) MOYNIHAN R. BMJ. 2008 Aug 14;337:a925.
    (3) FLETCHER S. BMJ. 2008 Aug 14;337:a1023
    (4) PISACANO A. BMJ. 2008 Aug 14;337:a973
    (5) EL-RAHDI AS. Arch Dis Child. 2008 Nov;93(11):918-20

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  2. J’ai été très intéressé par l’article « trop c’est trop » sur les résistances aux antibiotiques. Lellouche a raison d’insister sur l’importance des antibiothérapies à spectre étroit plutôt qu’à spectre élargi et il a raison de dire qu’on le sait depuis très longtemps.

    Je crois que l’attrait qu’exercent les antibiotiques à large spectre vient de ce qu'ils ont été présentés comme faisant quelque chose de plus : l’antibiotique à spectre étroit agit sur les germes A,B et C alors que l’antibiotique à spectre large agit non seulement sur A,B et C mais aussi sur D,E,F... et très souvent la publicité pharmaceutique laisse entendre qu’ils agissent jusqu’à Z. Les médecins ont, et c’est normal, envie d’être aussi efficaces que possible. La population a envie, et c’est normal là encore, que les remèdes soient très efficaces et les laboratoires affirment aux uns et aux autres que leurs produits sont efficaces.

    Prendre acte du caractère préférable des antibiotiques à spectre étroit, c’est sortir de la situation désirée par les uns, promise par l’autre et rêvée par tous pour tenir compte du réel. Cela n’est pas facile.

    Il n’est pas facile non plus d’entendre ce que disent, après d’autres Cotten (1). Il est démontré que plus l’antibiothérapie est prolongée, plus grand est le risque chez des prématurés de très petit poids de faire une entérocolite nécrosante et de mourir "Prolonged therapy was associated with increased odds of necrotizing enterocolitis or death and of death".

    Les médecins rêvent d’être efficaces. Traiter largement avec un antibiotique à large spectre et traiter longtemps leur semble être intuitivement l’idéal. Les études ont beau répéter depuis 40 ans que ça ne marche pas comme cela, ils ne peuvent pas l’entendre. Le fait que les laboratoires aient un énorme poids dans l’organisation des colloques et dans la presse médicale vient encore retarder la prise de conscience et la modification des attitudes.

    (1) COTTEN CM. and all. Prolonged Duration of Initial Empirical Antibiotic Treatment Is Associated With Increased Rates of Necrotizing Enterocolitis and Death for Extremely Low Birth Weight Infants. Pediatrics. 2009 January; 123(1): 58–66.

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  3. Afin d'alimenter ce débat et cette réflexion sur la résistance aux antibiotiques des bactéries, je crois que nous somme nous médecins de "petits joueurs". En effet c'est l'industrie agro-alimentaire, les éleveurs et leurs vétérinaires qui emportent le plus gros morceau du gâteau antibiotique et de loin.

    Il faut lire à ce propos ce qui se passe aux USA sur ce lien du site "Green et vert" http://www.greenetvert.fr/2013/02/22/lindustrie-de-la-viande-consomme-quatre-cinquieme-des-antibiotiques/71865

    On y apprend que l'industrie de la viande étasunienne consomme les quatre cinquièmes des antibiotiques. "Les fermes d’élevage ont utilisé de plus en plus de médicaments chaque année et leur consommation atteint un niveau record de près de 34 milliards d’euros en 2011". Ceci est du même style chez nous, rapporté à notre échelle franco-française. l'Agence nationale du médicament vétérinaire était éloquente à cet égard dans son dernier rapport (http://www.anses.fr/Documents/ANMV-Ra-Antibiotiques2011.pdf)

    En 2011, le volume total des ventes s’élève à 913 tonnes d’antibiotiques, heureusement un peu en décroissance (3,7%) depuis 2007. Ceci est à nuancer en fonction des espèces de destination et des familles de molécules. Une lutte est en particulier en cours pour éviter le recours à des molécules précieuse en médecine humaine (Céphalosporines de 3 et 4 ème générations et Fluoroquinolones.

    Cette gabegie ne se limite pas à seule viande bovine. Lorsque l'on voit des élevages intensifs de porcs Bretons tassés les uns contre les autres, qui se marchent dessus, dorment sur leurs litières avec leurs déjections juste en-dessous. Lorsque l'on voit les poulets élevés en batteries et qui se battent pour avoir le droit de respirer, avec des poules que l'on fait pondre deux fois par jour grâce à un éclairage artificiel qui leur fait croire que les journées durent 12 heures. Cette surpopulation animale dans des espaces clos souillés avec des traumatismes incessants, une maltraitance, du stress ne peuvent qu’engendrer des maladies infectieuses répétées. Le cercle vicieux est installé, il faut prévenir par la prise quotidienne d'antibiotiques ces infections, avec des germes qui s'habituent aux produits anciens et deviennent naturellement résistants.

    L'étape suivant est l'absorption alimentaire par l'homme de ces protéines animales contaminées par ces germes de plus en plus résistants. La cuisson de ces viandes est un pis-aller pour tenter de ne pas devenir porteurs de ces germes et de les disséminer dans notre entourage.

    Antibiotique , cela vient du grec anti (contre) et bios (la vie). Est-ce que ce n'est pas contre notre propre vie que nous nous battons par ces prescriptions folles ?

    Dominique Le Houézec

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